Thème

« Un jour mon père est venu me chercher. C’était au cœur de la nuit noire, quand la brume rentre dans les maisons. On s’est levés, sans faire de bruit. Je croyais qu’il m’emmenait à la chasse. Je croyais revenir chez moi dans quelques heures. Alors je n’ai rien pris. »
Comme le veut la tradition, dans ce village d’Amazonie, un jeune garçon est laissé pendant un mois au cœur de la forêt afin qu’elle lui apprenne à voir et à rencontrer les esprits. Cette initiation fera de lui « l’enfant-jaguar », le futur guérisseur de sa tribu.

Extrait

« En arrivant dans la clairière, j’ai vu d’abord le cèdre immense, tout entouré de lianes, son tronc dégoulinant de fleurs et de fougères, où vivaient tant de singes et d’oiseaux. L’après-midi touchait à sa fin, mais il faisait presque sombre sous le grand arbre.
Mon père a sorti sa machette pour couper les hautes herbes sous un bosquet de palmiers dont les fruits rouges et luisants jonchaient le sol.
C’est alors qu’il m’a dit : « Mon fils, tu vas rester ici… Là regarde : le ruisseau. Pour manger, tu n’auras qu’à ramasser les fruits rouges du palmier. »
« Rester ici ? » j’ai répété.
Puis mon père s’est accroupi, sous le grand cèdre. Déjà le ciel était rouge. Il a sorti un sac de toile de sa besace. « Ça, c’est ton sachet d’herbe aux esprits. Tu en prendras deux pincées avant de t’endormir, c’est important mon fils, deux pincées, souviens-t-en. » « Je vais dormir ici tout seul ? » ai-je demandé. « Oui. » m’a-t-il simplement répondu. Et sa voix était tout aussi tranquille quand il m’a donné sa pierre blanche, son bracelet de plumes et cette flûte taillée dans un os fin. Mais je n’arrivais pas à̀ l’écouter. Je regardais la nuit qui approchait en même temps qu’une voix dans ma tête me répétait tout le temps : « Dormir ici tout seul ? »
Grand-père disait que l’apprentissage du guérisseur commence toujours par la peur. Et je devais sans doute commencer à apprendre car je sentais la peur partout en moi.
Puis mon père s’est levé. Je me souviens que la clairière s’était remplie de lucioles. C’est alors qu’il m’a dit : « Regarde mon fils, la lune est neuve… Je viendrai te chercher dans un mois. »
Je me suis levé à mon tour, mais alors je n’ai plus vu mon père. Et lorsque je l’ai appelé, il avait disparu déjà. »

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