ThȨme

Le soir de la Toussaint, alors que tous les mineurs sont sortis de la mine de Potosi, rentrés dans les maisons, Agustin Osorio est descendu au plus profond des galeries, dans les entrailles de la montagne d’argent pour rencontrer le diable… Il a quelque chose d’incroyable à  lui révéler.
Le temps d’une nuit ce face à  face entre l’homme des hauts plateaux andins et le « tio » raconte l’histoire d’un peuple et révèle le monde occidental, tel qu’il pourrait devenir aujourd’hui.


Extrait

« Combien de fois avons-nous été tous réunis, avec mon père, mes sœurs, mes frères, joyeux autour de la même table ? Sans la sécheresse qui menace. Les aînés qui déjà  se lèvent, pour une corvée chez des plus riches. Ou le cri d’une voisine, car on a vu le loup rôder… Un moment tous ensemble, sans les peurs autour. Dans les silences, entre chaque mot. À redouter un prochain départ à  la mine. Ou les militaires, quand ça leur prend et qu’ils débarquent avec les armes, pour nous terroriser.
Tu ne soupçonnes pas à quel point il est fragile, le bonheur des pauvres. Quand tu songes à tout ce qu’il a fallu d’efforts, de patience, de sacrifices, pour mettre debout sept frères et sœurs, sous le toit d’une même maison ! Tout ça pour trois repas, peut-être quatre, où la joie est vraiment venue. Mais une joie sans mélange, donnée par surprise et que nul au monde, fît-ce le diable, ne peut venir reprendre.
Et puis, que ferais-tu de ce trésor de loqueteux, amassé au fil des ans dans son coffre de carton ? Ces pauvres souvenirs qu’on suce encore les jours d’après, comme des noyaux… Toi qui possèdes une montagne d’argent et le droit de vie et de mort sur tous tes ouvriers, que peux-tu comprendre à  cette richesse qui n’exige aucune contrepartie, et n’a jamais brillé ? Ces instants où l’on ne manquait de rien, je t’assure. Riches d’une odeur parfois seulement. Comme la sueur de ma mère quand je dormais, porté contre son dos et bercé par son souffle. Je m’en souviens encore, cette sueur : elle était le parfum des montagnes, que je grimpais sans un effort, l’haleine des gens qui lui parlaient…
Ou quand mon frère Zacarias m’emmenait avec lui pour garder les lamas. Ces figurines d’argile qu’il m’apprenait à  modeler dans la boue des ruisseaux. Ce petit peuple rouge, ces bêtes extravagantes, ces femmes aux seins pointus, que nous cuisions en regardant les étoiles, dans nos feux de bergers. Et qui fondaient le lendemain, sous la première pluie. »

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