Thème

Lors d’un de ses voyages dans la région du Rio Napo, une femme écrivain rencontre un vieux chaman, avec qui elle établit au fil des mois une relation quasi-filiale.
Qu’est-ce qui relie ces deux êtres ? Une même fascination pour le pouvoir sacré, poétique de la langue.
Peu à peu le vieil homme entraîne l’écrivain dans la forêt, réveillant des histoires au fil des promenades avec la geste époustouflante des chamans de sa lignée.
Un roman initiatique dont le personnage principal est la forêt. Une jungle tissée de mémoire menacée par la déforestation et l’exploitation pétrolière et qu’un vieux chaman protège, aujourd’hui encore, par la force de ses chants


Extrait

« Vient alors ce premier matin. Celui dont tu te souviendras chaque fois que tu ouvriras les yeux par la suite. Etonné d’être parti ce jour-là avec tant d’innocence. Ebahi encore d’y avoir survécu.

Ton père te lève, donc. Comme pour une chasse. Avec la même précipitation silencieuse et agile, et le même détachement aussi. Comme tu crois revenir vite, tu ne prends rien à quoi tu tiens. Le collier de ta mère restera à côté de ta couche, tu y repenseras souvent.

As-tu déjà traversé le village aussi tôt ? L’heure où les chiens roulent leurs dépouilles dans les cendres tièdes pour ces rêves de chasses, qui crispent leur mâchoire, les font gémir parfois. Rien ne bouge. Le silence est partout. La brume a mangé les maisons, ne restent que les seuils, un filet tendu entre deux arbres, la fleur vide d’un maïs épluché.

Vous avez passé le ruisseau, les sentiers qui mènent aux jardins, ces collines de troncs épais où vous creusez les pirogues. Ton père avance toujours, d’une démarche inflexible. Qu’est-ce qui le presse ainsi, à percer les buissons sans se soucier du bruit des feuilles, des brindilles écrasées ? Tu le suis malgré toi, étonné qu’au lieu d’écouter les bêtes, il soit à courir encore. Qu’est-ce qui le tire ainsi devant ?

Passé le bosquet de bananiers, il n’y a plus rien que tu connaisses. D’habitude, à entrer dans la forêt sauvage, le chasseur ralentit, il prend le pas des bêtes. Où allez-vous ? On n’avance pas ainsi quand on part à la chasse. Comme tu n’oses arrêter ton père, que les mots s’étouffent dans ta gorge, tes petits pas s’encombrent d’une sourde appréhension. Bien que trottant derrière, tu cherches des repères, impatient, tellement impatient de retrouver ton hamac, de revenir déjà. Parce qu’il t’emmène. Hors des sentiers, loin du village, un peu plus loin à chaque pas. Au fil des heures, il n’y a plus que cette certitude qu’il t’emmène. Que tout ce chemin c’est pour toi. »

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