Philosophe de formation, botaniste par passion, elle écrit son troisième roman et publie son journal.

On a dit de quelques auteurs qu’ils écrivaient avec leur sang. L’encre qui coule par la main d’Anne Sibran est plutôt de la sève. Parisienne d’adoption, elle retrouve dès qu’elle le peut, dans sa maison en Ardèche, son milieu naturel, le règne végétal et animal que sa prose excelle à décrire,  le mot est faible, on devrait dire  » traduire ». On pourrait prendre au pied de la lettre le titre de son dernier roman, Je suis la bête dont la narratrice est une enfant sauvage.
Car Anne Sibran est un être humain qui aurait l’ouïe ultra-sensible de la chouette, l’odorat du loup et l’acuité visuelle du vautour.
Quand la température passe au-dessus des huit degrés en hiver, elle songe aux abeilles qui vont sortir de leur torpeur et risquer de se laisser surprendre par un regain de froid. Dans un violon, elle voit l’arbre coupé.
Quand elle traverse un square, son oreille est meurtrie par le craquement du germe vert des graines d’érable sous les pieds des passants. Dans son jardin, elle caresse les « phalanges » du saule, admire « la musculature » du marronnier… Ce sont ces moments d’osmose avec le vivant, lorsqu’elle met sa « raison » en sourdine pour mieux « résonner » avec le monde, qu’elle raconte dans le recueil d’extraits de son journal, Le Monde intervalle. Écrire, pour elle, consiste à  « se laisser traverser pour émettre ». A s’extraire un temps du fonctionnement de la société pour se mettre en présence du réel.
Les pages qu’elle consacre à  ses promenades parisiennes sont héritières des surréalistes et du « merveilleux quotidien » cher au Paysan de Paris. Mais c’est le silence des espaces champêtres qui donne toute sa mesure à  la justesse, parfois extraordinaire, de son écriture. « Je suis souvent d’accord avec la neige (…) Cette manière délicate de s’approprier la forêt, sans rien laisser perdre de l’identité de chacun, vautrée sur le prunier, cramponnée au genêt, assise bien droite sur l’érable comme sur un tabouret, alanguie au sapin. » Quelquefois, on croit entendre au détour d’un mot la voix d’Yves Bonnefoy.

ASTRID DE LARMINAT

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