monde-du-desssous-1erLe diable existe, Anne Sibran l’a rencontré, tapi dans les légendes qu’on se transmet depuis la nuit des temps à  Potosà­, en Bolivie. Là  où les fabuleuses mines d’argent ont enrichi jusqu’au délire les colons espagnols, mais aussi tué, en quatre siècles, huit millions d’Indiens, victimes de « la montagne qui mange les hommes ».
Le diable était considéré jadis comme le vrai patron de la mine par les hommes qui couvraient d’offrandes sa statue d’argile pour lui demander protection. Dans le roman d’Anne Sibran Dans la montagne d’argent (éd. Grasset, 2013), le narrateur – Agustin Osorio, 35 ans, fils d’un mineur tué dans « le monde de dessous » – revient en 1969, après des années d’exil, pour accomplir « ce que personne n’a jamais osé »... Mais l’épilogue compte moins que l’acheminement à travers les âges. La friction de l’histoire et du romanesque. La coexistence rien moins qu’apaisée entre les hommes condamnésà  l’enfer et des figures tutélaires fabuleuses. Le télescopage du rêve et de la réalité avec injections subreptices de fantasmagories diverses.

Pour Didier Tronchet, ce livre avait tout du terrain miné : le style, d’une luxuriance raffinée, y fait image, mais les images étaient à  réinventer pour éviter les clichés de la reconstitution historique et du pseudo-fantastique. Dans cette adaptation elliptique et percutante, il trace sa voie propre, imbriquant quotidien et surnaturel sans hiatus, dans une mise en scène graphique à  forte teneur tragi-comique, comme l’est le trait qu’on lui connaît : jamais plus proche de la vérité des personnages que dans la vision décalée jusqu’à la caricature apparente qu’il en donne.

Jean-Claude Loiseau – Télérama